En attendant Godart : le rendez-vous de 11 heures à Lavans les Dole


L'Abbé Godard

Un lieu de rendez-vous rural de grande importance était la grand-messe de 11 heures à Lavans-les-Dole. Hormis les gens du village venaient s'y adjoindre les croyants de Lavangeot et Romange. Bien avant l'heure bénie, non loin du porche de l'église, beaucoup de jeunes gens se rassemblaient. Ce n'était pas la marque visible d'une dévotion exacerbée. En fait c'était une occasion de rencontre entre filles et garçons.
Ainsi des garçons au menton duveteux et des filles récemment nubiles parlaient essentiellement des fêtes patronales des villages alentour...et du bal. Ainsi par quelques travaux d'approche réciproques, chacun et chacune pouvait caresser l'espoir d'un enlacement langoureux lors d'une valse ou d'un slow. Bref ! À l'heure dite, jeunes et moins jeunes faisaient le plein de la vieille église. Le rituel dominical était respecté, avec la participation active de tout le monde aux répons et chants religieux. Mais le point d'orgue de la cérémonie était la montée en chaire de l'Abbé Godard. Son parler, franc et direct ne laissait jamais soupçonner la langue de bois.
Pendant une demi-heure (en chaire), il invectivait ses paroissiens, rabrouait les enfants de chœur qui chahutaient, se plaignait d'être rarement invité aux repas de noce ou de baptême, jetait l'anathème sur les parents qui laissaient leurs enfants en bas âge se promener dans le village avec pas même un mouchoir pour cacher leurs innommables émonctoires! Il avait une préférence presque amoureuse pour Sainte Colette. En chaire, il était intarissable, si bien qu'il faisait son feuilleton dominical à l'usage de ses ouailles. Pendant nos deux mois de vacances, environ huit dimanches, ses homélies de plus en plus interminables ne tarissaient pas d'éloges et d'anecdotes édifiantes sur la Sainte. Si par quelque malheur on avait raté un épisode, ce n'était pas grave, car l'année suivante à la même époque, nous avions forcément une réédition. Il lui arrivait quand même de faire quelques digressions sur d'autres canonisées. Par exemple, Sainte Marguerite Marie Alacoque, qui venait meubler quelques prêches qu'il jugeait un peu courts. C'est vrai que pour lui des sermons de durée inférieure à trente minutes devaient lui laisser un goût d'inachevé. Bref, de cette grande sainte, figure légendaire de Paray-Le-Monial, il n'en parlait pas de la même façon que de Sainte Colette. Son enthousiasme était moindre, son discours hasardeux et les fleurs de rhétorique, rarissimes à son égard. On aurait pu croire qu'il se sentait coupable d'avoir un peu délaissé son grand amour , Sainte Colette. Le coeur a des raisons.....

Enfin tout cela se terminait devant un auditoire plutôt assoupi, et pour réveiller tout le monde il ne manquait pas de rappeler haut et fort, le nom de la famille qui devait payer le pain à bénir du prochain dimanche. Le sermon terminé le curé reprenait le cours de la liturgie en entonnant fortissimo en style grégorien un ''Crédo'' à réveiller les âmes distraites. Et l'office suivait le rituel avec la participation active de l'harmonium et des cantiques adaptés. La bénédiction finale et ''l'Ite missa est'' (la messe est dîte) renvoyait tout ce petit monde à ses occupations bien matérielles.

L'Abbé Godard retournait dans sa cure, et s'adonnait soit à la peinture à l'huile sur des toiles immenses, soit au chant grégorien où son auditoire se réduisait à une servante dévouée. Il oubliait dans la beauté l'ingratitude de son ministère.
MAX BERNARD